Je viens d’être saisi d’un nouveau rapport concernant l’indépendance énergétique de l’Union européenne (UE) pour lequel des auditions ont débutées (Aurélie BROS, consultante indépendante sur les questions énergétiques et géopolitiques ainsi que la Représentation Permanente de la France auprès de l’UE) et pour lequel je serai amené à faire des déplacements en Europe (Moscou, Rome…). En l’état actuel du travail, les premières conclusions sont les suivantes.
Entre 2006 et 2016, la production domestique de l’UE en énergie a considérablement chuté entrainant la croissance de la dépendance énergétique des États membres de l’Union, et ce, en dépit d’une baisse de la consommation ou d’une augmentation modérée. A l’horizon 2030, l’Union européenne sera dépendante à hauteur de 75% de l’étranger pour son approvisionnement énergétique. Malgré des relations diplomatiques houleuses, l’Union européenne a pour principal fournisseur la Russie. En effet, la Russie est le fournisseur extérieur unique de six États membres, qui importent auprès d’elle la totalité de leur gaz naturel.
On constate également une répartition très inégale de la dépendance énergétique dans l’UE: certains pays comme l’Estonie, le Danemark ou la Roumanie ont un taux de dépendance énergétique inférieur à 25% alors que d’autres pays comme la Belgique, l’Italie ou l’Irlande ont un taux de dépendance supérieur à 75%. Des mesures existent déjà en matière d’approvisionnement énergétique, telles que la Directive du 14 septembre 2009, le Règlement (UE) n° 994/2010 du 20 octobre 2010, le Paquet sur la sécurité énergétique durable présenté par la Commission le 16 février 2016 ou encore le Règlement sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité. Ces mesures ont notamment pour objet de garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel tout en permettant aux États de développer une approche commune, coordonnée à l’échelon régional afin de prévenir et de gérer les crises de l’électricité et de s’y préparer.
La décision unilatérale de l’Allemagne d’abandonner progressivement le nucléaire jusqu’à l’arrêt du dernier réacteur prévu en 2022 a démontré la nécessité d’une coordination des grands choix énergétiques en Europe. En effet, les politiques plurinationales engendrent un manque de cohérence et d’harmonisation et les choix pris unilatéralement sont susceptibles d’avoir des impacts économiques et sociaux importants.
Des enjeux multiples : de la transition énergétique à la compétitivité des entreprises
La question de l’indépendance énergique de l’UE est cruciale : en effet, le plus grand risque pour l’Europe serait de pas réussir ses objectifs de transition énergétique, perdant ainsi de sa crédibilité au niveau international. L’indépendance énergétique de l’Union recouvre trois grands défis principaux : l’indépendance quant aux approvisionnements, la recherche d’énergies nouvelles, et notamment d’énergies décarbonées, et la fluidité et la réactivité des circuits énergétiques.
Pour que l’objectif de l’Union de fournir une énergie sûre, stable et durable soit réalisable, celle-ci doit être abordable pour les citoyens et compétitives pour les entreprises. Or, l’UE est limitée au niveau de ses ressources naturelles énergétiques, et dépend fortement de l’importation d’énergies fossiles. Il apparait donc souhaitable de renforcer l’intégration du marché intérieur afin d’accroitre la compétitivité dans les prix, la sécurité dans l’approvisionnement ainsi que la lutte contre le changement climatique. La réalisation d’investissements dans les infrastructures transportant l’électricité et le gaz est également un défi majeur pour l’Europe.
Des solutions à la dépendance énergétique de l’UE
Le retour à des gains de productivité importants pour les entreprises européennes passe tout d’abord par une politique énergétique respectueuse de l’environnement. En effet, l’Union doit mettre l’accent sur les économies d’énergie et investir dans les énergies renouvelables afin de diminuer la dépendance de l’Europe et d’améliorer sa sécurité énergétique.
Le gaz est perçu comme une solution intermédiaire, souple et fiable, entre les énergies fossiles très polluantes (charbon et pétrole) et les énergies renouvelables. À ce titre, sa part de marché dans les mixtes énergétiques des États de l’UE est amenée à augmenter. La Commission souhaite en ce sens encourager le recours au gaz naturel liquide, facile à transporter et à stocker et polluant moins que le pétrole ou le charbon. Cela permettrait à l’UE de diversifier ses partenaires commerciaux en se tournant vers des pays tels que l’Australie, l’Iran, la Turquie ou encore le Nigéria.
On note plusieurs avancées concernant l’indépendance énergétique de l’Union européenne : l’interconnection des réseaux et la solidarité entre les Etats membres ont ainsi été renforcés ainsi que la sécurité de l’approvisionnement. Le programme énergétique européen pour la relance a permis de réaliser des investissements et de renverser le courant traditionnel des flux de gaz, pour des pays traditionnellement dépendant à 100 % de la Russie. En effet, désormais, des flux de gaz proviennent de l’Ouest en direction de l’Est.
L’indépendance de l’Union a connu également des avancées notamment grâce au développement par les Etats-Unis du gaz de schiste, qui a eu un effet modérateur sur les prix de gaz. C’est un filet de sécurité important en terme de sécurité de l’approvisionnement. Toutefois, l’Europe est divisée sur ce point, bien que soutenu par Pologne car très dépendante énergiquement. Faisant déjà l’objet d’une exploitation aux Etats-Unis et au Canada, le gaz de schiste présente des risques environnementaux et sanitaires avérés (contamination des nappes phréatiques par des fuites de méthane, importante quantité d’eau utilisée, risque de tremblement de terre du aux fracturations). De plus, son bilan énergétique demeure décevant et les réserves européennes de gaz de schiste apparaissent trop faibles pour s’imposer en tant qu’alternative durable au gaz conventionnel. Enfin, une telle solution pourrait apparaitre contraire à l’objectif de l’Union de développer des ressources énergétiques alternatives et propres.
La précarité énergétique en Europe
La dépendance énergétique de l’Union européenne pénalise particulièrement ses habitants les plus précaires. En effet, quelque soit la source d’énergie, le prix de l’unité d’énergie a vocation à augmenter. Bien qu’une telle hausse des prix pourra être compensée par une diminution de la consommation, ces solutions (voitures hybrides, maisons “basse consommation” ou à “énergie nulle ou positive”, etc.) ne pourront pas être adoptées par tous. Les habitants en situation de précarité vont être le plus impactés. Actuellement, 10 à 20 % de la population européenne souffre déjà de pauvreté énergétique. Une solidarité est de mise.
En ce sens, une politique européenne de lutte contre la précarité énergétique pourrait apparaitre une réponse adaptée. Elle pourrait passer par une définition commune de la précarité énergétique, la création d’un Fonds européen de solidarité énergétique, ou encore par l’établissement d’une taxe carbone européenne.
Vers une Union de l’énergie ?
Le Traité de Lisbonne étant insuffisant en la matière, certains en appellent à la création d’uneCommunauté européenne de l’énergie, projet préparé par Jacques Delors et soutenu par le débuté européen Jerzy Buzek, alors président du Parlement européen. En effet, la libéralisation de la fourniture d’énergie est une réalité depuis 2004 en ce qui concerne les entreprises, les professionnels et les collectivités, et 2007 pour les particuliers. En février 2015, Jean-Claude Juncker a ainsi relancé la perspective d’une Union de l’énergie, Union qui permettrait de réaliser des économies d’échelle et de renforcer la coopération et la solidarité via une intégration totale des marchés nationaux de l’énergie.