J’ai rédigé avec M. Patrice Anato, député LREM de Seine-Saint-Denis, un rapport d’information relatif à l’articulation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avec la politique commerciale européenne. Nous avons ainsi formulé plusieurs priorités d’action dans la perspective d’une relance du multilatéralisme.
Le commerce international représente aujourd’hui des montants considérables dans un contexte de mondialisation. Pour l’année 2016, les seules exportations de marchandises ont été évaluées à 15 460 milliards de dollars. Les exportations de services, elles, sont plus difficiles à mesurer mais sont estimées à 4 800 milliards de dollars. Ce commerce demeure très concentré puisque cinq pays (Chine, États-Unis, Allemagne, Japon et France) représentent à eux seuls 38 % des exportations mondiales de marchandises, la Chine étant quant à elle le premier exportateur mondial (11,8 %)
Le commerce international est donc essentiel, non seulement à ces pays mais aussi aux autres, et en particulier aux pays en voie de développement. Toutefois, comme toute activité économique, le commerce international doit nécessairement être régulé. S’agissant d’une activité internationale par nature, la régulation ne peut être que multilatérale : c’est dans cet optique que sera créé le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en 1947, remplacé par l’OMC en 1995.
Or, depuis une vingtaine d’années, l’OMC n’a pas été en mesure d’achever le cycle de Doha et, sauf rares exceptions, de moderniser les règles commerciales issues des Accords de Marrakech (1995). Cette incapacité est d’autant plus inquiétante que le commerce international a profondément évolué dans sa forme. Ces évolutions ont également motivé les grandes puissances commerciales à privilégier la conclusion d’accords de libre- échange bilatéraux au détriment des accords multilatéraux.
Néanmoins l’OMC demeure indispensable au commerce international. L’OMC traversant une transition douloureuse vers une nouvelle forme de régulation, elle doit s’adapter aux nouvelles réalités du commerce international et retrouver un rôle central dans la régulation de celui-ci. La crise initiée par le président américain Donald Trump lorsqu’il a annoncé vouloir imposer unilatéralement des droits de douane aux importations d’acier et d’aluminium, démontre que le risque de guerre commerciale est toujours présent et la régulation multilatérale plus que jamais nécessaire.
L’UE : un acteur majeur du libre-échange
Le commerce international est une politique européenne majeure et ce, dès le Traité de Rome en 1947. En effet, les États membres ont dès l’origine, transféré à la Communauté leur compétence en matière de politique commerciale, devenue la première compétence européenne exclusive. Toutefois, la politique commerciale commune était limitée pour l’essentiel aux seules barrières tarifaires et aux règles commerciales communes vis-à-vis des pays tiers. Le Traité de Lisbonne (2009) a considérablement élargi la définition de la politique commerciale et la Cour de justice de l’UE l’a encore précisée. La Commission européenne détient un rôle premier dans les négociations commerciales, puisqu’elle dispose notamment de l’initiative et conduit seule les négociations. Cependant, il faut noter que le pouvoir du Parlement européen s’est progressivement affirmé avec le temps.
L’UE a ainsi soutenu le développement du libre-échange via les cycles du GATT et la création de l’OMC. Le 30 octobre 1947, 23 États ont signé le GATT. Celui-ci reposait sur trois principes : le principe de non-discrimination, le principe de réciprocité et le principe de consolidation. Les négociations ont exclusivement porté sur la réduction des barrières quantitatives aux échanges, en commençant par les droits de douane. Toutefois, un besoin s’est fait ressentir de moderniser les règles et les institutions du multilatéralisme commercial. Ainsi, on peut noter trois avancées majeures dans les années qui suivirent : la création de l’OMC, la modernisation des règles du commerce international et l’établissement d’un mécanisme de règlement des différends efficace. Cette évolution a été fortement soutenue par l’UE, membre à part entière de l’OMC. Parallèlement, le bilatéralisme est resté limité jusqu’aux années 2000, le nombre d’accords de libre-échange demeurant assez faible.
L’enlisement du multilatéralisme commercial
L’ambition d’un nouveau et large cycle de négociations (le Cycle de Doha) s’est heurtée à de très vives oppositions entre États mais aussi avec la société civile. Ainsi, les ambitions, limitées, du cycle de Doha ont été abandonnées à la conférence de Cancùn (2003). C’est notamment à l’occasion de cette conférence que les dissensions ont éclaté publiquement entre les pays développés et les pays en voie de développement.
Bien que l’OMC ait réalisé quelques succès mineurs (notamment les accords très partiels de l’OMC à Bali et Nairobi), l’avenir du multilatéralisme commercial reste sombre. Cependant, malgré les échecs et le blocage persistant du cycle de Doha, aucun État n’a remis en cause l’existence de l’OMC ni son utilité.
La réforme de l’OMC
Si les mutations du commerce international expliquent l’échec du cycle de Doha, elle ne remettent pas en cause le rôle central de l’OMC qui, pour l’assurer efficacement, doit toutefois se réformer. En effet, l’émergence de nouveaux acteurs implique des exigences nouvelles. Ainsi, si la société civile exige la transparence et le contrôle démocratique des négociations commerciales, la montée en puissance des pays en voie de développement remet en cause la prééminence des États-Unis et de l’UE et la pertinence des règles commerciales multilatérales.
Outre les nouveaux acteurs, les nouveaux enjeux du commerce international, et donc des négociations commerciales, dépassent le champ du seul commerce. D’une part, l’enjeu des négociations commerciales n’est plus l’abaissement de la protection des producteurs mais davantage l’harmonisation des normes applicables aux consommateurs, soit de la précaution. Ainsi, les enjeux des négociations commerciales vont bien au-delà du seul commerce et de l’abaissement des droits de douane. D’autre part, le développement durable, et avec lui l’environnement, jusqu’à lors le parent pauvre des négociations commerciales, est devenu l’un des objectifs de l’OMC.
Par conséquent, l’OMC étant mal armée pour faire face à ces mutations, ses principaux membres ont donné la priorité aux négociations bilatérales et plurilatérales. En effet, la contrainte du consensus paralyse l’action de l’OMC et l’empêche de moderniser des règles désormais datées et inadaptées aux nouvelles réalités du commerce international. Ainsi, les principales puissances commerciales multiplient les négociations bilatérales et plurilatérales, notamment l’UE, dont on peut toutefois dénombrer quelques avantages.
L’OMC doit dont se réformer afin de mieux réguler le commerce international. En effet, l’OMC est plus que jamais nécessaire au bon fonctionnement du commerce international, à la fois pour fixer des règles communes légitimes mais aussi pour la régulation du commerce international.
Le rapport auquel j’ai participé définit donc une urgence – sauver le mécanisme de règlement des différends menacé par les États-Unis – et cinq priorités d’action qui, si elles sont mises en œuvre, notamment par le leadership de l’UE, sont de nature à relancer le multilatéralisme commercial sans lequel le bilatéralisme (et le plurilatéralisme) sont largement privés de portée.