Comment s’appuyer sur l’intelligence collective pour impliquer les citoyens à l’élaboration, l’application et l’évaluation de la loi? C’est l’objet de la grande consultation mise en œuvre par l’Assemblée Nationale pour que le citoyen soit désormais au cœur des réformes et débats.
Nous avons vécu ces derniers mois deux échéances électorales importantes. Ces scrutins ont certes mobilisé des millions d’électeurs, mais on ne peut se satisfaire du taux d’abstention record au second tour des élections présidentielles (25,44%) et législatives (57,36%). L’abstention gangrène notre démocratie. Elle se nourrit de la défiance croissante de nos concitoyens à l’égard de leurs élus.
Il n’est pas question ici de détailler les causes souvent avancées et bien analysées par nos politologues éclairés: l’incapacité du politique à apporter des réponses concrètes aux problèmes quotidiens de nos concitoyens, en premier lieu le chômage, le bi-partisme qui a trop souvent empêché les nécessaires réformes à notre pays faute de consensus, l’incurie et parfois même la malhonnêteté de certains responsables politiques, l’individualisme croissant. Tout cela est juste, bien documenté et appelle à des réformes concrètes que le Président et son gouvernement engagent progressivement.
Au-delà de ces explications, nous devons également nous interroger sur la façon de promouvoir la participation citoyenne. Car nos concitoyens sont prêts à s’engager! En témoignent les succès des pétitions en ligne, ou encore des consultations récentes dans le cadre des états généraux de l’alimentation ou sur la politique du logement. Ces consultations montrent, pour nombre de nos concitoyens, une réelle appétence pour s’emparer de sujets qui concernent le bien commun. Les outils numériques peuvent à cet effet être un levier puissant pour favoriser davantage l’engagement de nos compatriotes.
C’est dans cet esprit que le Président de l’Assemblée Nationale, François de Rugy a lancé le 9 octobre dernier, en présence des membres du groupe de travail “Démocratie numérique et participation citoyenne“, une grande consultation nationale. Il s’agit ici de faire appel à l’intelligence collective pour déterminer de quelles façons nous pouvons renforcer la participation des citoyens à l’élaboration, à l’application et à l’évaluation de la loi. Je vous encourage vivement au passage à soumettre vos idées sur la plateforme dédiée.
Les quatre premières thématiques ouvertes à la consultation portent sur les grandes étapes de la procédure législative : le droit d’initiative des citoyens pour déterminer quelles questions doivent être mises à l’agenda, leur consultation en amont sur les projets de texte, leur participation au travail d’écriture de la loi, à son évaluation, quand cette dernière a été votée.
La cinquième thématique porte sur les différentes modalités de participation, qui peuvent reposer sur le numérique, mais aussi sur des réunions publiques ou des panels de citoyens.
Chacune de ces thématiques ouvre un champ des possibles dont le groupe de travail déterminera les limites et les aménagements constitutionnels nécessaires.
Voici quelques pistes qui se dégagent des premières auditions du groupe de travail “démocratie numérique” et des propositions faites par les internautes, qu’il conviendrait à mon sens d’explorer:
Le droit d’initiative des citoyens
Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’ordre du jour est partagé entre le Gouvernement et l’Assemblée Nationale. Mais nos concitoyens ne peuvent par exemple soumettre directement de questions au gouvernement. Les conditions de validité du référendum d’initiative citoyenne rendent à l’heure actuelle impossible une telle initiative sur la durée d’une mandature: il faut mobiliser un cinquième des parlementaires soit 185 parlementaires (députés ou sénateurs) associés à 4 570 000 électeurs c’est-à-dire 10% des citoyens inscrits sur les listes électorales. Le droit doit évoluer en la matière.
Nous pourrions imaginer, à l’image de ce qui se fait déjà en Grande-Bretagne, qu’une pétition ayant recueilli un nombre important de signatures (le seuil reste à déterminer) oblige l’Assemblée Nationale à étudier la question posée. Les organisateurs et organisatrices de la pétition pourraient être invités à l’Assemblée nationale pour être écouté en audition et travailler dans les commissions en rapport avec la pétition.
La consultation en amont sur les projets de loi
Nous avons trop longtemps tenu nos concitoyens éloignés du processus de fabrication de la loi. Aujourd’hui, il faut avoir de solides notions juridiques pour saisir tous les enjeux d’un projet de loi ou d’un amendement. Nous devons rendre les projets de loi plus lisibles pour ouvrir la consultation au plus grand nombre. Nous pourrions développer les Ateliers Législatifs Citoyens consistant, en amont de l’adoption d’une loi, à réunir les citoyens pour discuter de l’intérêt du texte, des raisons de son adoption et surtout des moyens de l’améliorer. Certains députés pratiquent déjà ce type de consultation à titre expérimental. Le député qui anime cet atelier porterait ensuite des amendements à l’Assemblée nationale en fonction de ce qui s’est dégagé des réflexions des citoyens. Cette pratique constitue un procédé de démocratie participative intéressant car il donne la parole aux citoyens sans déposséder l’élu de son pouvoir législatif puisque c’est lui qui sélectionne et défend les amendements au projet de loi.
Les interactions avec la procédure législative
Nous pourrions créer une plateforme en ligne pour permettre aux citoyens de pouvoir déposer des propositions d’amendement en amont de l’examen des textes, aussi bien en commission qu’en séance. Ces amendements pourraient faire l’objet d’un vote des internautes et devraient être repris ou cosignés par les députés pour pouvoir être examinés. Cette plateforme serait animée par une équipe en charge d’accompagner des citoyens contributeurs, dont le rôle serait aussi de travailler sur la mise en forme et la recevabilité des propositions.Nous pourrions également envisager, à l’image des budgets participatifs qui se pratiquent dans certaines communes, expérimenter une participation citoyenne pour la répartition d’une enveloppe sur le budget de l’État.
Participation au contrôle et à la mise en oeuvre de la loi
Les études d’impact d’une loi devraient être systématiquement mises à disposition des citoyens (avec des données en OpenData).Une clause de revoyure pourrait être votée avec la loi pour permettre cette évaluation au bout d’un délai de 12 mois par exemple et éventuellement suspendre la loi ou la modifier. Il serait souhaitable que cette évaluation “institutionnelle” puisse être confrontée à l’avis des citoyens via une plateforme numérique.
Les réformes nécessaires à une plus grande participation de nos concitoyens dans la procédure législative ne sont pas exclusivement d’ordre législatif. Elles sont aussi culturelles. La culture de participation citoyenne doit d’abord être développée au niveau de chaque élu, pour sortir de la République des Sachants. Plutôt que d’opposer démocratie participative et démocratie représentative, il faut travailler à une plus grande complémentarité de ces deux modes de fabrication de la loi, pour en garantir la légitimité et l’efficience.